J'optimisme
Par peur de perdre, nous n'oserions plus entreprendre ? Non, je le réfute.
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Peut-on rire de tout ? Oui, mais pas avec tout le monde. » Les journalistes de Charlie Hebdo en ont fait la cruelle expérience. Après le livre d'Éric Zemmour et ses prises de position incendiaires contre l'immigration, la perte des valeurs et le social-libéralisme ambiant, Michel Houellebecq dont le dernier roman, Soumission, dépeint une France islamisée en 2022, soulève les passions. Ces polémistes provoquent le débat (parfois nauséabond), ce qui est normal dans une démocratie. Mais que l'on puisse mourir pour des dessins ou des idées est profondément scandaleux. La liberté de parole, l'impertinence, l'irrévérence, l'humour sont des composants de notre culture. Au travers des siècles, les « fous du roi » et autres penseurs ont permis de désacraliser les puissants.
Aujourd'hui, face à l'indigence de nos politiques, à leur incapacité à trouver des solutions pour contrer les effets néfastes et délétères du capitalisme galopant, nous sommes tentés de nous rapprocher des extrêmes. Ici, on voudrait nous faire croire qu'il suffit de renvoyer les musulmans pour régler nos problèmes. Là-bas, des fous qui, au nom d'un Dieu, voudraient rétablir l'obscurantisme. Au milieu, des partis politiques désemparés. D'un côté, le blanc, de l'autre, le noir. Entre les deux, pas de nuances. En période de crise et d'incertitude, la tentation du nationalisme n'est jamais loin. La méconnaissance de l'autre est souvent source d'incompréhension et de rejet. Si la peur fait bouger, elle fait rarement avancer.
Je suis allé au Mali en 1999 et 2003 pour y rencontrer des paysans et échanger sur l'intérêt des groupes, coopératives, Cuma et les avantages de construire ensemble. Bien qu'à cent lieues de notre développement (travail manuel, avec un âne ou un boeuf, pas d'électricité), ces agriculteurs sont dignes, en dépit de la misère des bidonvilles. Ils pratiquent un islam modéré. Depuis l'arrivée des fondamentalistes, cette population subit la loi de quelques exaltés, mais les préoccupations sur la façon de développer leurs exploitations, de s'organiser face aux pressions de l'amont et l'aval, et la possibilité d'offrir à leurs enfants un monde meilleur, ressemblent aux nôtres.
En Algérie, j'ai rencontré des producteurs de lait responsables de groupes de développement. Nous avons échangé sur les outils et les compétences pour fédérer autour d'un projet, sur l'expérience, sur l'effet levier du groupe. Là aussi, des paysans progressistes qui tentent de faire face aux lobbies des transformateurs, des propriétaires terriens (pas de statut du fermage), à la difficulté de s'approvisionner en fourrages et concentrés. Pour améliorer rapidement leur génétique et parce que, par manque de fourrage, ils n'élèvent pas de génisses, ces producteurs sont contraints d'acheter des jeunes vaches holsteins ou montbéliardes qu'ils payent 3 000 € arrivées en Algérie. À ce prix-là, il vaut mieux être importateur qu'éleveur.
En France, la morosité ambiante, la déprise de l'élevage en général au profit des cultures, la complexité administrative nous anesthésient à petit feu. Alors que nous avons de nombreux atouts pour développer une agriculture de qualité, nous aurions moins de courage, d'ambition, d'espoir qu'un paysan malien ou algérien ? Apprendre à connaître l'autre, c'est lutter contre les préjugés. Leur volonté de changer leur monde agricole, et par là même le monde, est une leçon pour nous. Comment ? Nous ne serions plus capables de nous organiser collectivement pour relever les défis ? Par peur de perdre, nous n'oserions plus entreprendre ? Conjuguons l'optimisme : j'optimisme, tu optimismes, il optimisme...
PASCAL POMMEREUL
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